Scène d'ouverture
Jeanne commande un café, une femme est avec elle.
Jeanne: Ah ....Non, mais quand même, l'être humain c'est...c'est un animal génial, non? Vous trouvez pas? Non, mais par rapport aux chiens je veux dire. Bon, par rapport aux dauphins je dis pas, mais par rapport aux chiens! Elle donne un café à la femme. Quand on pense que 99% de nos gènes sont les mêmes que les singes; bah ça fait réfléchir, moi j'dis.
La femme: Chez certains c'est même 100%; enfin, je parle des hommes bien sûr. En ce qui concerne quelques femmes, parfois c'est 100% dinde. Regard insistant vers Jeanne.
Jeanne: La dinde? Ah oui, par rapport aux chiens bien sûr.
La femme: Oui, par rapport aux chiens!
Jeanne: Non, parce que les dauphins c'est pas pareil quand même.
La femme: Non. Hausse les yeux au ciel.
Scène 1
La femme en question est toujours là. Fred se commande un café.
Fred: C'est quoi au juste votre métier?
La femme: D'une façon générale, on me désigne comme une paysagiste de bureau. Mais bon, moi, je me definirai plutôt comme une architecte de l'espace, une aquariste, une murat, voyez?
Fred: Alors c'est vous pour la moquette?
La femme: Oui enfin, entre autres choses.
Fred: Ah, bah c'est pas trop tôt! Moi cette moquette grise, j'peux plus la voir.
La femme: Vous avez tout à fait raison; elle est beaucoup trop yang, trop masculine, trop aggressive. Pour vous, il faudrait quelque chose de carrément yin, fin, féminin, dans les tons bleus....les bleus, enfin.
Fred: Ou noir comme ma chambre, ça me calme.
Scène 2
Les deux femmes se sont installées à une des tables derrière. Hervé arrive pour se prendre un café.
La femme: Non mais, il faut tout modifier: les températures, les ventilations, les éclairages. Tenez par exemple, les bureaux c'est.....ah....
Hervé, s'approchant: Alors c'est vous? C'est vous le réaménagement, comme on dit?
La femme: Oui exactement, enchantée. Elle tend sa main, que Hervé ignore. Bah, vous tombez bien. J'étais justement en train d'expliquer à votre collègue l'importance de la disposition des bureaux. J'en ai d'ailleurs déménagé certains, enfin un surtout ce matin.
Hervé: Ouais je sais, c'est le mien.
La femme: Ah...c'est vous alors le youka, le poster...
Hervé: Ouais, les galets peints aussi. Pourquoi, ça vous un problème?
La femme: Ecoutez monsieur, il était temps que j'intervienne. Votre bureau, il est plein nord. C'est pas bon plein nord.
Hervé: Nooon.
La femme: Pas bon du tout, très mauvaises vibrations; c'est beaucoup trop néfaste pour son utilisateur.
Hervé: Vous savez ce qui vous disent les nordistes en ce moment, là?
Fred: Non non, moi j'y crois. Moi, mon bureau il est grand comme un placard; il a pas de fenêtre, je vois jamais la lumière du jour, et quand je sors du boulot j'ai envie de me droguer.
Hervé: Mais c'est des conneries tout ça! A la dame. Alors écoute-moi bien Madame Soleil, si tu touches à un seul de mes galets peints, si y'a une rayure sur un de mes galets peints, hein....Parce que moi mon bureau c'est mon refuge, c'est ma tannière, ça fait 15 ans que j'y suis, ok?
Fred: Je crois qu'on va le laisser tranquille, hein? C'est, c'est les nerfs qui le travaillent. Et qu'est-ce qu'on peut faire pour mon bureau, pour éviter que je me drogue?
La femme: Sachez monsieur que l'alchimie des nerfs n'a jamais été aussi moderne. Le Feng-Chui, c'est l'Orient qui va à la rencontre de l'Occident , le yin et le yang à l'unisson. Vous...saisissez?
Hervé: C'est ça, fous-toi de ma gueule!
La femme: C'était un plaisir. Elle s'en va avec Fred.
Hervé: Ça va pas se passer comme ça, hein! Moi j'suis délégué syndical là, hein. Délégué du personnel, j'suis de plein d'trucs ici, moi! Faut pas me « feng-chuier ». Je vais t'en foutre de l'acuponcture de l'espace, moi. A coups de manche de pioche, tu vas voir.
Jean-Claude arrive avec un paquet dans les bras.
Jean-Claude: Eh dis-donc! Quand ils disent 48h chrono c'est pas des conneries, hein?
Scène 3
Jean-Claude: Alors voilà! Voilà ce que je ramène pour mon p'tit confort. Il déballe le paquet, en sort un dossier de chaise fait de boules de bois. C'est un gars qui fait taxi qui me l'a conseillé. Une sorte de chinois en exil, tu vois? Bon chez lui c'est une tête; ici, j'dis pas, il est taxi. Alors tu vois, tu mets ça sur le siège conducteur et puis alors, ça régule l'énergie du dos, c'est pour être zen. Et comment j'en avais déjà un, bah tiens c'est...c'est pour toi.
Hervé: C'est pour moi ça?
Jean-Claude: Ouais...
Hervé: Pour que je sois zen?
Jean-Claude: Voilà!
Hervé: Tu trouve que j'suis pas assez cool? Vous me faîtes chuier tous! Il attrape le dossier et le jette par terre. Voilà ce que j'en fais de ton tapis!
Jean-Claude: Non, mais t'es malade!
Hervé: Ton boulier de merde! Il s'avance, glisse sur le dossier, tombe sur le dos. Aïe, aïe, aïe...
Jean-Claude: Hervé, Hervé!
Hervé: Aïe!
Jean-Claude: Hervé!
Scène de fermeture
Jean-Claude se commande un café.
Jean-Claude, en regardant vers le bas: Tu veux un p'tit café?
Hervé: Bah oui bien sûr, j'veux un café! Jean-Claude le commande. Bon maintenant ramène-moi au bureau, c'est bon.
Jean-Claude: Oui bah attends, le café...
Hervé: Mais c'est bon, je l'ai.
Jean-Claude: Ah bah oui, c'est vrai.
Hervé: J'ai des dossiers à terminer.
Jean-Claude tire une chaise roulante, Hervé est dessus: Voilà!
Hervé: Oh la, j'suis bloqué!
Jean-Claude: Oui, oui je sais. Tu, tu les sens bien mes boules dans ton dos là, hein? Ça te fait du bien!
Hervé: Tais-toi et pousse.
Jean-Claude: Tu sais, c'est des boules en bois du Tibet. C'est vachement rare, hein...