Ouverture
Hervé boit son café, Jean-Claude arrive avec une caméra.
Jean-Claude: Hervé?
Hervé: Quoi?
Jean-Claude: Un sourire!
Hervé, se retournant: Oh non! Il rigole. C'est quoi ça, encore?
Jean-Claude: C'est dingue hein, la technologie bourrée de cristaux liquides?
Hervé: Mais dans un an elle est....elle est dépassée ta camelotte, là!
Jean-Claude: Mais d'ici là elle sera largement amortie va, t'inquiète pas! Je vais vendre mes images au 20h, moi.
Hervé: Ah parce que tu crois que tes films de vacances sordides ça va intéresser les gens de la télé?
Jean-Claude: Mes films de vacances non, mais un bon fait divers, ça ouais. Ça fait deux week-ends que je film non-stop, là. Je me suis installé sur le pont qu'enjambe l'autoroute en bas de chez moi. Y'a bien un con qui va finir par se scratcher et là, hop! Direct au 20h!
Hervé: Attends Jean-Claude; le grand con en survêt' fluo qui jetait les graviers sur le pont de la 26, c'était toi? J'en ai reçu sur mon pare-brise.
Jean-Claude: Bah t'emballe pas, c'est....c'était pas du gravier, c'était de la litière pour chat.
Scène 1
Hervé et Jean-Claude sont avec un journaliste.
Hervé: Sale histoire.
Journaliste: Vous connaissiez la personne qui a fait ce geste irréparable?
Hervé: Non.
Jean-Claude, moqueur: Oh vous savez à cette vitesse là, c'est difficile de mettre un nom sur un visage.
Hervé: Oh ça va, Jean-Claude. On fait pas de l'humour avec quelqu'un qui vient de sauter du haut d'un immeuble. Un suicidé c'est grave quand même.
Journaliste: Une suicidée.
Hervé: Oh non, une femme!
Journaliste: Ouais. On a retrouvé son sac à main à côté d'elle, une femme ne saute jamais sans son sac à main.
Jean-Claude, écrivant: Ça c'est bon, je vais la noter.
Journaliste: Bon vous avez rien vu quoi, hein?
Hervé: Bah on a rien vu...attendez! Vous êtes qui vous? Hein? Vous avez déboulé comme ça et tout, vous avez pas votre carte de presse. Vous travaillez pour quel journal?
Journaliste: Pour l'instant, je travaille pour un journal local, hein. C'est sûr qu'on n'a pas le même tirage qu'un quotidien national mais enfin, on couvre tout ce qui se passe dans la région, ok? C'est pas rien!
Jean-Claude: Et la tentative de record du week-end dernier, c'est vous?
Journaliste: La plus grosse choucroute du monde?
Jean-Claude: Ouais.
Journaliste: Non non, c'est mon collègue de la culture.
Jean-Claude: Ah ouais...
Hervé: Et vous travaillez pour quelle rubrique?
Journaliste, agacé: La rubrique des chiens écrasés.
Hervé: En l'occurence, ce serait plutôt les chiennes écrasées, là. Il rigole.
Scène 2
Journaliste: Bon bah, allez-y! Qu'est-ce que vous avez à me dire? Euh...je vous écoute.
Jean-Claude: Vous....vous prenez pas des notes?
Hervé: Et pis des photos, hein! Pour illustrer en couverture; nos deux gueules et tout.
Journaliste: Ok d'accord ouais, j'ai compris. Je suis tombé sur deux charlots qu'on rien à me dire c'est ça hein?
Jean-Claude: Mais non!
Journaliste: Bah au revoir messieurs, bonne continuation.
Jean-Claude: Non mais attendez, attendez. On...on va vous raconter mais c'est vrai que c'est....c'est terrible quoi ce fait divers, là. Ce...cette chute, ce cri strident, vraiment c'est...
Hervé: Si au moins le toit d'une voiture avait pu amortir les choses, mais non!
Jean-Claude: Non non, là c'est tombé pile à l'endroit où y avait pas de voiture, à la place réservée aux handicapés. Mais nous, on n'a pas d'handicapés ici.
Hervé: Quoique note; si elle s'en était sortie, elle y aurait eu le droit à cette place, hein!
Jean-Claude: Exact!
Hervé: C'est vraiment la faute à pas de chance, quoi.
Jean-Claude: Voilà en gros les détails...alors?
Journaliste: Alors quoi?
Jean-Claude: Bah alors, alors vous allez nous citer dans l'article!
Hervé: Ah bah oui et....et attention! N'écorchez pas son nom il y tient, c'est Convenant.
Jean-Claude: Oui!
Hervé: C'est facile à écrire et c'est facile à retenir.
Jean-Claude: Jean-Claude.
Hervé: Voilà, avec un « t » à la fin.
Journaliste: Ah bah, j'aurais bien aimé mais là je crois que ça va pas être nécessaire. Non parce que c'est un fait divers banal, pas très excitant. Non un suicide dans le milieu professionnel, ça fait pas rêver les gens, ça leur rappelle trop la vie du bureau. Non ça aurait été un drame passionnel, moi je dis pas; un drame passionnel, j'aurais pu broder. Mais là....non non non. Non, puis tout ça, ça m'a pas l'air très sérieux, hein? Allez, salut!
Hervé: Salut. Le journaliste se dirige vers l'ascenseur.
Jean-Claude: Elle avait un amant!
Hervé recrache son café et regarde Jean-Claude, stupéfait.
Scène 3
Jean-Claude: Parfaitement, un amant! Et ouais! Je les ai surpris une fois dans l'immeuble. On parle bien d'une blonde, la trentaine?
Journaliste: Ouais, ouais.
Jean-Claude: Et bah là, ils avaient dû se donner rendez-vous sur le toit de l'immeuble!
Hervé: Mais arrête, Jean-Claude! Mais qu'est-ce qui te permet de parler de la vie de cette malheureuse!
Journaliste: Ouais...quoi d'autre?
Jean-Claude: Et pis, ça a du mal tourner. De toute façon, elle voulait le quitter.
Hervé: Arrête Jean-Claude!
Jean-Claude: Ils se sont empoignés et, et là y'a eu un faux pas, et...et la chute trente mètres plus bas....voilà! Mais ça, vous pouvez l'écrire noir sur blanc!
Journaliste: Non mais c'est du lourd ce que vous me dîtes là!
Jean-Claude: Eh ouais!
Journaliste: C'est quoi vos noms, déjà?
Hervé: Quoi vos noms, vos noms....son nom! Et puis, il préfère rester anonyme.
Jean-Claude: Mais pas du tout!
Hervé: Mais si Jean-Claude, tais-toi!
Journaliste: Non mais moi je veux bien, mais la police va me faire chier. Attention, je suis pas une balance là, mais c'est très grave. Moi, j'ai besoin d'être couvert.
Jean-Claude: Quoi? Quelle police?
Hervé: Quelle police...
Journaliste: Bah quoi, les flics! Non mais va...va falloir leur parler de cet amant!
Jean-Claude: Un amant, un amant, mais quel amant? On parle bien d'une...d'une brune, la cinquantaine c'est ça? Et puis, vous êtes sur que c'était une femme? Parce que, en général, les femmes elles se suicident aux médicaments, c'est plus doux.
Journaliste: D'accord...
Jean-Claude: Et sinon euh...on peut mettre des petites annonces dans votre journal, là? Parce que j'ai des noeuds marins dans ma cave là, sous verre, qui viennent de Quimper; ça m'emcombre et je voudrais bien les vendre. Je peux....je peux vous demander au journal? C'est quoi votre nom?
Journaliste: Tintin, grand reporter! Il prend l'ascenseur et s'en va.
Jean-Claude: Ah ouais d'accord, c'est bon.
Hervé: Tu t'en souviendras?
Jean-Claude: Oui oui, bah oui, Tintin, avec deux « t ».
Hervé: Ah bah, tu sais l'écrire en plus.
Jean-Claude: Bah bien sûr!
Fermeture
Hervé lit le journal, Jean-Claude le rejoint.
Jean-Claude: Alors?
Hervé: Attends....ça y est, je l'ai!
Jean-Claude: Où? Où ça?
Hervé: Là, là regarde!
Jean-Claude: Ah ouais, ouais c'est là.
Hervé lit l'article: « Drame dans la zone industrielle, une jeune femme se jette du haut d'un immeuble qui abrite la société Digix! »
Jean-Claude: Digix! Et après?
Hervé: Bah y a rien après, il cite même pas le nom de notre boîte! Après tout ce qu'on lui a dit cet enfoiré, là!
Jean-Claude, lui prenant le journal: Attends, j'veux voir s'ils ont mis ma petite annonce. Tu sais les...les noeuds marins, là et le baromètre en forme d'ancre!
Hervé: Attends mais on s'en fout de ça!
Jean-Claude: Quoi on s'en fout? Ça y est, c'est là! Ça y est: « Demandez Jean-Claude. » Putain ça y est, j'ai mon nom dans le journal! Hervé s'en va. Bah, pourquoi tu t'en vas?
Hervé: Oh, hé!
Jean-Claude: Ah oui....t'es jaloux, ouais! T'as qu'à vendre quelque chose, tu seras dans le journal. « Téléphonez après 20h. » Bah ouais, ça c'est normal, parce qu'avant je bosse. « Pas sérieux s'abstenir. » Ça c'est....je suis pas un blaireau.